La fin du Régime de Vichy
dans Le Temps
«Walter Stucki est l’une des gloires de la diplomatie suisse. Il fut un proche et un critique de Pétain, comme le rappellent ses Mémoires sur la fin de Vichy de nouveau publiées.» – François Nordmann
En cette année où l’on commémore l’épilogue de la Seconde Guerre mondiale, La Baconnière a eu l’heureuse idée de rééditer l’ouvrage du ministre Walter Stucki, La Fin du régime de Vichy, paru en 1947, enrichi d’un avant-propos de la secrétaire d’État Livia Leu et de l’ambassadeur de France en Suisse, Frédéric Journès. Une préface de Marc Perrenoud place l’ouvrage dans son contexte historique. Une riche documentation photographique et plusieurs textes originaux augmentent l’intérêt de ce témoignage.
Walter Stucki est l’une des gloires de la diplomatie suisse. À 29 ans, cet avocat devient en 1917 le premier secrétaire général du Département fédéral de l’économie publique. Il alternera des activités dans les secteurs public et privé, sera directeur de la Division du commerce, son nom circule pour le Conseil fédéral en 1934. L’année suivante, il est élu au Conseil national. Son idée d’un rapprochement du Parti radical auquel il appartient et de la gauche non communiste déplaît. On l’écarte élégamment: il est nommé à la tête de la Légation de Suisse en France en 1938 – il fait acheter par la Confédération l’Hôtel de Besenval, qui deviendra le siège de la représentation diplomatique de Suisse à Paris. Il n’en profitera guère: il devra suivre le gouvernement français à Bordeaux en juin 1940 puis s’installera à Vichy.
Se démettre ou partir
Dans cette ville, il deviendra l’observateur privilégié de la vie politique et gagnera la confiance du Maréchal Pétain dont il admire la carrière militaire. Pétain en fait son confident mais Stucki se montre critique de son indécision et de sa soumission à l’occupant allemand après l’invasion de la zone libre en novembre 1942. Pétain aurait dû se démettre ou partir en exil. Le commentaire ne manque pas de piquant: Stucki lui-même n’est rentré de sa mission qu’au début de septembre 1944. Dès novembre 1943, on lui propose divers postes à Berne, ou celui de ministre à Londres. Pilet-Golaz l’incite encore à rejoindre la Suisse le 24 juillet 1944. Le Conseil fédéral le rappelle formellement le 16 août. Mais le 20 août, Pétain lui demande d’assister à son départ pour l’Allemagne sous la contrainte, pour qu’il puisse témoigner de cette scène historique. Le 23 août, la Suisse rompt ses relations diplomatiques avec la France de Vichy. Cependant le ministre plénipotentiaire de Suisse décide de prolonger son séjour dans l’Allier. Pourquoi? Ne considérait-il pas lui-même depuis longtemps que le gouvernement de l’Etat français n’était qu’une coquille vide? Certes, la Suisse avait de bonnes raisons de maintenir une relation avec ceux qui exerçaient le pouvoir en France: les ports français étaient l’une des sources d’approvisionnement de la Suisse et la Légation de Suisse assumait la représentation des intérêts diplomatiques de 26 Etats auprès du Maréchal Pétain qui, de son côté, avait confié à la Suisse un mandat analogue dans une quinzaine de capitales dont Washington.
Pétain refuse l’asile
Stucki n’est pas dupe de ce qui se passe en France: il est conscient de l’impopularité de Laval, de la haine des Allemands, des protestations contre la déportation des juifs. Il est intervenu vigoureusement dès 1942 à ce propos, dans les limites de ses instructions qui lui interdisaient de faire tout commentaire sur le nazisme. Stucki doit aussi appliquer la politique d’asile de la Suisse. Alors pourquoi ne pas rentrer après l’effondrement de Vichy? Stucki se donne encore une mission: éviter que la transmission du pouvoir ne s’accompagne d’un bain de sang. Il plaide auprès de l’armée allemande pour qu’elle se retire dans l’ordre et sans violence. Puis, dans une expédition périlleuse, il ira au quartier général des FFI au Mont-Dore et obtient que les forces gaullistes renoncent elles aussi à user de la force lorsqu’elles entreront à Vichy et à Moulins. L’accord sera respecté, la passation du pouvoir s’accomplira sans heurts. Héros de la libération de Vichy, il rentre en Suisse le 6 septembre. Il reverra Pétain le 25 août 1945 lorsque le Maréchal traverse la Suisse, en route pour son procès. Pétain refuse l’asile que Stucki lui offre au nom du Conseil fédéral – et que de Gaulle souhaitait qu’il accepte.